Colonne aux chérubins - Raingo Frères  
   

Cette pendule de la seconde moitié du XIXème siècle a été acquise dans la branche Desjardins qui habitait la Ferté-Chevresis, en Picardie. Le patriarche, horloger de son état, avait dans son village la réputation d'un inventeur façon Géo Trouvetout. Le patelin se situe à 50 Km de Maizy, où habitaient mes aïeux... Chantal a toujours connu cette pendule dans l’appartement parisien de sa grand-mère paternelle, elle-même la tenant de ses grands-parents. Chacun des enfants passé dans la maison s’est assimilé un jour ou l’autre à l’un des trois chérubins de la composition. Au décès de Mamie Génie, la pendule a suivi Marthe et Claude dans leurs déménagements successifs, jusqu’à Licourt. Claude me l'a transmise en Mars 2017.

Il s’agit d’une « pendule de Paris », caractérisée par son mouvement compact à deux platines circulaires de taille réduite entre lesquelles sont emprisonnés les rouages de temps et de chevilles (sonnerie).  Ce mouvement à balancier était un premier pas vers la construction en série des pendules, les horlogers l’habillant d’une grande variété de cabinets décoratifs. Beaucoup de ces pendules ornementales de moyen volume ont trouvé leur place sur le tableau des cheminées des appartements Parisiens, d’où leur nom. Leurs mouvements appelés «blancs-roulants» étaient fabriqués en série à Saint Nicolas d’Aliermont en Normandie, ou en Pays de Montbéliard (Doubs) avant d’être livrés aux horlogers. Apparu au milieu du XVIIIème siècle, ce mouvement « de Paris » évoluera notablement en 1860 avec les travaux du grand Brocot qui repense l’échappement et conçoit une suspension de balancier à lame-ressort, deux inventions qui feront gagner beaucoup en stabilité et précision.

La pendule est signée Raingo Frères, grande famille de maitres horlogers du XIXème siècle. Celle-ci date des années 1870 d’après son modèle de suspension. Lorsque je l’ai récupérée, elle ne fonctionnait plus depuis des années et avait subi moult bricolages pour lui redonner vie, sans succès. Un certain nombre de pièces étaient faussées et la suspension était cassée. Même la réparation en 2010 effectuée par un de mes collègues dont c’est le passe-temps n’avait guère été probante.
   

La restauration a concerné le mécanisme et le cabinet.

Le cabinet a surtout eu besoin d’un solide nettoyage pour enlever des années de « mirror », incrustés dans le relief des bronzes. Après avoir essayé divers outils et produits pour retrouver le lustre sans détruire la patine, je me suis rabattu sur le brossage dans un bain de cendre mouillée, suivant les bons conseils de la femme de ménage… Une fois nettoyés, les bronzes sont astiqués à la cire liquide.

 
        
 

Le démontage du cabinet est simple car tout est boulonné de manière plutôt rustique et il n’y a pas d’oxydation. Très important, tout photographier au cours du démontage pour se rappeler dans quel ordre les pièces s’assemblent, ce qui n’est plus du tout évident quelques semaines plus tard. L’embase du socle sur lequel sont boulonnés les pieds était faussée ; en la redressant au marteau, j’ai constaté avec bonheur que le bronze n’est pas aussi cassant que je le redoutais… À noter que cette déformation du socle interdisait l’horizontalité complète du mouvement de la pendule, et donc son bon fonctionnement. Il semble qu’on a essayé de corriger en gauchissant les pièces du balancier, la solution n’était pas là…

 
         
 

J’ai abordé la restauration du mécanisme avec prudence et méfiance. La recherche documentaire m’a dirigé vers un ouvrage de référence sur les pendules de Paris, écrit par un certain Richard Chavigny cité à de nombreuses reprises sur les blogs horlogers. En achetant son livre sur « le bon coin », je ne savais pas encore que je m’adressais directement à lui. Nous avons eu quelques sympathiques échanges qui m’ont permis de bénéficier de précieux conseils.

Je n’ai pas voulu me lancer dans une restauration complète qui aurait demandé de séparer les platines du mouvement car ce n’était pas nécessaire. En effet, la « mise aux repères » (synchronisation des rouages de sonnerie) au remontage est réputée délicate. Je me suis contenté d’un nettoyage à l’air comprimé (Bien penser à bloquer le drapeau qui se transforme en girouette folle !), d’un polissage de ce qui était visible et d’une lubrification des « paliers » à l’huile de synthèse (10W40). J’ai aussi redressé tout ce qui était faussé dans la commande de sonnerie, de même que le balancier et sa fourchette. La partie la plus délicate a été le remplacement de la suspension du balancier qui était cassée. J’ai trouvé le ressort à deux lames pour suspension Vallet (une évolution de la suspension Brocot, vers 1870) sur eBay. Je pense que le précédent ressort a cassé à cause de son grippage dans la gorge de réglage du dispositif, faute d‘une huile inadaptée qui s’est transformée en gomme dure au point de quasiment fusionner les deux éléments en une seule pièce.

 
 
 

Suivant les bons conseils horlogers, j’ai bricolé une potence pour tenir le mouvement en place pendant la mise au point. Le réglage de la sonnerie était aisé puisque la mise aux repères n’a pas été touchée, garantissant le bon enchainement des coups d’heures et de demi-heures. Il suffisait alors juste de placer la petite aiguille au bon endroit… Une fois calée, la mise à l’heure se fait en tournant l’aiguille des minutes, lentement, jamais en arrière. Accessoirement, le passage à l’heure d’hiver ne fera pas en reculant d’une heure, mais en avançant de onze, ce qui la fera tinter 70 fois … La dernière phase concerne le réglage fin, en jouant sur la longueur du balancier via le dispositif inclus dans la suspension.

Une fois remontée et bien remontée (autonomie de l’ordre d’une semaine), la pendule fonctionne à merveille (avance de l’ordre de 2 mn par semaine) et sonnera encore de nombreuses années.


Raingo Frères

L’histoire des horlogers Raingo montre que l’arrivée en Belgique de cette jolie pendule n’est qu’un retour aux sources…

En effet, les racines de la famille Raingo se situent dans les territoires qui deviendront le royaume de Belgique en 1831. Zacharie Joseph Raingo est né à Mons en Belgique le 2 juillet 1775, fils de Nicolas-Joseph, horloger, et de Marie-Magdelaine Decroly. Il vit à Tournai de 1795 à 1807 puis développe, à partir de 1810, son activité à Gand avant de s'installer à Paris, rue de Cléry, en 1813.

Grand spécialiste des pendules planétaires, également appelées horloges astronomiques, il dépose un grand nombre de brevets dont celui, en 1810, pour une «pendule à sphère mouvante» sur laquelle il publia un opuscule en 1823.

La maison Raingo Frères est fondée en 1830 à Paris par quatre fils de Zacharie, rue de Touraine puis rue Saintonge

Lors de l'Exposition des Produits de l'Industrie de 1844 à Paris, la maison est mentionnée favorablement par le jury : Avant de parler de leurs produits, disons un mot de ces fabricants : c'est une famille d'industriels composée de quatre frères dont l'intelligence est constamment acquise à la prospérité de leur établissement, à Paris et à l'étranger. La partie commerciale domine, et le chiffre de leur exportation est considérable. [..]. En considération de l'importance de cette maison et des services rendus au commerce, le jury décerne a MM. Raingo frères la médaille de bronze. (Rapport du Jury central, Exposition des produits de l'industrie française en 1844).

Les frères Raingo se distinguent rapidement par leurs bronzes, en ajoutant des bronzes d'art et d'ameublement au catalogue horloger. Établis en 1860 au 102 rue Vieille-du-Temple, les ateliers créent notamment de remarquables pièces pour l'Empereur et l'Impératrice Eugénie, une collection qui peut être admirée aujourd'hui au Louvre. Les frères Raingo effectuent des productions d'après l'Antique puis, plus tard, produisent de petits modèles des œuvres d’artistes contemporains tels que Pradier, Carrier-Belleuse ou Auguste Moreau. Ils travaillent aussi en collaboration avec le célèbre ébéniste François Linke.

La maison est présentée à l’Exposition Universelle de 1862 à Londres. Aux Expositions Universelles de Paris de 1867, 1878 et 1889, elle remporte à chaque fois des récompenses, dont la médaille d'or à l'Exposition Universelle de 1889. Les œuvres des frères Raingo se trouvent dans divers musées dont le Musée des Arts et Métiers à Paris, les musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles, le Museo Poldi Pezzoli à Milan et le Palacio Real de Madrid.

 
Quelques évolutions de marquage de la maison Raingo Frères
                       
Frappé c.1845                    Lettrage c.1850                  Frappé c.1850            Frappé c.1850               Lettrage c.1880